Ateka Loi Sapin II #2
La loi Sapin II impose des mesures anti-corruption très strictes aux grandes entreprises françaises. En particulier, elle introduit un accord judiciaire dans l’intérêt public, un nouveau système qui remplace les poursuites actuelles qui sont inefficaces parce qu’elles sont trop complexes.
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Beaucoup ont d’abord vu, dans la loi Sapina II, un simple HADAPI anti-corruption, inutilisable et destiné à rester mort. Mais avec la première transaction criminelle de 300 millions d’euros conclue entre le National Financial Prosecution Service (PNF) et la banque HSBC — accusée de blanchiment d’évasion fiscale — l’État a envoyé un message fort. Il a manifesté son intention de faire pleinement fonctionner le nouveau système de « convention d’intérêt public judiciaire » (CJIP) instauré par la loi. Un autre grand opérateur qui peut faire le coût rien d’autre que Airbus, pris dans le vice d’une double enquête de la Fraude Office britannique et du PNF français, qui a déjà coûté au chef de la direction du groupe son président actuel Thomas Enders et son n° 2 Fabrice Brégier. Pourquoi est-ce la loi de Sapin II ? Quelles sont les pénalités en cas de non-conformité ? Décryptage.
Pourquoi la loi de Sapin II ?
L’ État français décide d’adopter le modèle anglo-saxon de transaction criminelle, qui remplacerait le modèle de conduite criminelle qui avait prévalu jusque-là. Trois raisons principales peuvent être invoquées pour clarifier ce changement.
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Tout d’abord, nous pouvons attirer l’attention sur le niveau très bas du système judiciaire à ce jour. En 30 ans, seulement neuf instructions sur la corruption ont conduit à la condamnation de personnes morales (aucune peine n’a été infligée au dirigeant). L’adoption d’un modèle transactionnel anglo-saxon permet de compenser la lourde et extrême complexité de la conduite d’essais qui ont duré en moyenne depuis de dix à quinze ans. Surtout, il permet une punition pécuniaire presque immédiate des dirigeants, une violation du régime précédent.
Il y a aussi un désir de contrecarrer les effets de la justice extraterritoriale américaine. L’amende de 9 milliards de dollars imposée à la BNP pour éteindre les poursuites engagées par le ministère de la Justice (DoJ) aux termes de la Foreign Corruption Act (FCPA) a des esprits suffisamment marqués. La FCPA constitue une arme redoutable de guerre économique pour les grands opérateurs américains pour effectuer une prise de contrôle hostile des entreprises européennes. Il maintient les dirigeants sous la double menace de sanctions financières — souvent synonymes de faillite — et de sanctions pénales pouvant aller en prison. La meilleure illustration est l’acquisition d’Alsthom par General Electric. Parmi les cinq dernières sociétés étrangères achetées par General Electric, toutes étaient sous une poursuite du ministère Justice pour corruption. Par conséquent, pour voir la stratégie convenue des autorités et des entreprises américaines, il y a une mesure qui ne doit être prise qu’avec prudence. Surtout, nous devons voir l’opportunisme et les stratégies de prédation économique inhabituelles des multinationales de l’Atlantique. Selon la logique du législateur français, le système Sapin II pourrait donc servir de pare-feu à la politique américaine de mise en œuvre du racket, en s’opposant à son principe de non bis in idem (1). Sur le plan offensant, l’article 21 de la loi offre à l’Etat français la possibilité d’extoritiser ses activités anticorruption et ainsi de lutter sur un pied d’égalité avec les dispositifs américains et britanniques. Cependant, je doute que de telles tactiques puissent vraiment éteindre la voracité de l’empire américain et ses tentations omniprésentes. Ce calcul de l’Etat français ouvre dans chaque cas des changements très intéressants, quoique incertains, dans la jurisprudence.
Enfin, et surtout, il est également très pragmatique de percevoir des amendes substantielles par le Trésor, voire de les partager en cas de double enquête auprès d’un tribunal étranger (ce qui serait le cas d’Airbus). Le programme peut donc être considéré comme un moyen opportun pour l’État d’élargir son monopole fiscal et de simplifier sa gestion des litiges avec les multinationales.
Mesures et sanctions
Le programme Sapin II, que l’AFA est responsable de mettre en œuvre, impose huit mesures importantes d’assurance de la conformité.
Crédit : © GORON Quelles sont les sanctions pour les entreprises non conformes ? Le régime des punitions est double relaxation.
Premièrement, l’AFA peut envoyer un avertissement au délinquant ou référer un comité des sanctions pour ordonner à l’entreprise d’ajuster ses procédures internes de conformité. Le comité des sanctions pourra infliger des amendes allant jusqu’à 200 000 euros pour les particuliers et 1 000 000 EUR pour les personnes morales.
Deuxièmement — et c’est la grande nouveauté — la loi introduit la forme de l’accord français de poursuite différée (DPA) avec l’introduction de l’accord judiciaire d’intérêt public (CJIP). Cette convention pénale est déclenchée si une personne morale est créée, à condition que la personne morale reconnaisse les faits et accepte la qualification criminelle. CJIP, qui permet d’éteindre la perspective d’un procès criminel, ne s’applique qu’aux personnes morales. Les individus, les dirigeants, demeurent pénalement responsables et peuvent faire l’objet de poursuites.
Dans le cas d’un accord de transaction entre le parquet et une personne morale, le procureur peut proposer aux sociétés concernées (au niveau national ou international) un contrat imposant les responsabilités suivantes :
- Paiement au Trésor d’un montant proportionnel au bénéfice du défaut, à concurrence de 30% du chiffre d’affaires annuel moyen (calculé dans les trois dernières années).
- Mettre en œuvre, sous le contrôle de l’AFA, une sanction de conformité garantissant l’existence et l’exécution de huit obligations de conformité sous le contrôle direct de l’Agence (c.-à-d. une procédure de surveillance et de détection de l’entreprise aux États-Unis). Les coûts sont supportés par l’entité juridique concernée et le plan peut durer au maximum trois ans.
- Enfin, l’indemnisation des dommages causés par le crime aux victimes identifiées et qui peut fournir au procureur toute information pour évaluer leur préjudice.
Bien qu’il soit difficile de projeter le développement des services CJIP à moyen terme, il est facile de constater que les impacts financiers et de réputation peuvent s’avérer critiques pour les opérateurs économiques concernés. Pour les joueurs ayant des « mesures faibles », l’AFA avertit qu’il n’y aura pas de compromis sur les exigences du programme Sapin II tant qu’ils satisfont aux critères de seuil et aux critères d’entrée du système obligataire. Ne peut pas s’attendre à la magnanimité de l’agence : l’ordonnance de conformité n’est pas négociable.
A ce stade, les questions portent donc sur la maturité des mesures visant à prévenir le risque de fraude et de corruption dans les entreprises françaises. Est-ce qu’ils sont prêts à s’adapter à cette nouvelle situation ? Sinon, comment peuvent-ils s’y préparer ?
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Découvrez la documentation complète :
> #1 — Risque d’abus et de corruption : les entreprises françaises sont en retard
> #3 — Comment gérer le risque de fraude et de corruption ?
1) En droit fiscal, ce principe, dérivé de l’expression latine « non bis in idem » (pas deux fois pour la même chose), qui existe également dans le domaine pénal, interdit l’imposition d’un même contribuable par le même impôt, pour la même raison et par la même autorité.